Ce 1ᵉʳ août 2025, le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno a reçu le général Saddam Haftar, chef d’état-major des forces terrestres libyennes. Une rencontre qui marque le retour d’un dialogue bilatéral ambitieux, centré sur la réouverture des frontières, la gestion des détenus et la lutte contre les menaces transfrontalières. Dans un Sahel en mutation, le Tchad affirme son rôle de pivot diplomatique face aux turbulences régionales.
N’Djaména, 1ᵉʳ août 2025 – Dans les coulisses du palais Toumaï, un vent de renouveau diplomatique a soufflé ce matin au Tchad. En effet, le président Mahamat Idriss Déby Itno a accueilli le général Saddam Haftar, chef d’état-major des forces terrestres de l’Armée nationale libyenne (ANL), marquant ainsi un tournant décisif dans les relations entre N’Djaména et Benghazi. Cette visite, riche en symboles, ouvre la voie à une coopération renforcée entre les deux nations voisines, dans un contexte régional marqué par d’épineux défis sécuritaires et économiques.

Apaisement et commerce : les frontières en ligne de mire dans le dialogue entre le Tchad et la Libye
L’entretien a permis d’aborder des enjeux cruciaux pour les deux pays. Au cœur des discussions figurait la réactivation des relations bilatérales, mises à mal par des années de tensions liées à l’instabilité en Libye et aux conflits frontaliers. De fait, les deux parties ont exprimé leur ferme volonté de rouvrir les frontières, fermées depuis plusieurs années en raison des troubles sécuritaires, afin de dynamiser le commerce transfrontalier. Cette ambition s’inscrit dans un contexte où le Tchad et la Libye partagent une frontière de plus de 1 000 kilomètres, trop souvent théâtre de trafics illicites et d’incursions de groupes armés.
Par ailleurs, un autre point sensible a été évoqué : la situation des ressortissants tchadiens détenus en Libye. Bien que les détails de ces discussions restent confidentiels, des sources proches de la présidence tchadienne indiquent que le président Déby a plaidé pour une résolution humanitaire de ces cas, dans un esprit de dialogue et de coopération. Enfin, la question de la paix en Libye, pays déchiré par des conflits internes depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, a également occupé une place centrale. À cet égard, le général Haftar, fils du maréchal Khalifa Haftar, figure influente de l’Est libyen, a réaffirmé l’engagement de son camp à œuvrer pour la stabilité régionale.

Le Sud libyen, carrefour des intérêts : la stratégie d’Haftar en action
Cette rencontre intervient dans un contexte où l’ANL, dirigée par le maréchal Haftar, renforce son influence dans le sud de la Libye, notamment à travers des opérations visant à sécuriser les zones frontalières avec le Tchad, le Niger et le Soudan. Selon des informations récentes, les forces de Haftar ont intensifié leurs patrouilles dans la région stratégique du Fezzan, une zone riche en ressources naturelles, mais aussi un carrefour de trafics illicites. Cette mobilisation, qualifiée d’« opération globale » par Saddam Haftar, vise officiellement à lutter contre les groupes armés et à protéger les frontières. Cependant, certains analystes y voient une volonté de consolider le contrôle de l’ANL sur des zones économiques clés, à l’instar des mines d’or près de la frontière tchadienne.
De plus, la visite de Saddam Haftar à N’Djaména s’inscrit également dans une dynamique de rapprochement avec les pays du Sahel. En effet, le Tchad cherche à renforcer sa position diplomatique dans la région. Pour preuve, en juin 2024, le général Haftar s’était déjà rendu dans la capitale tchadienne, marquant sa première visite officielle à l’étranger depuis sa nomination comme chef d’état-major. Cette nouvelle rencontre traduit donc l’urgence de consolider les liens entre les deux nations face aux défis communs, notamment la lutte contre le terrorisme et la gestion des flux migratoires.

Ombre au tableau : les absents et les zones de frictions persistantes entre le Tchad et la Libye
Certes, cette rencontre, bien que saluée comme un pas significatif vers la normalisation des relations, n’a pas occulté les défis persistants. Notamment, les autorités tchadiennes n’ont pas mentionné la participation d’autres acteurs libyens, en particulier le gouvernement de Tripoli, reconnu internationalement et dirigé par Abdel Hamid Dbeibah. Cette absence souligne la complexité de la situation politique en Libye, où deux administrations rivales continuent de se disputer le pouvoir.
Par ailleurs, la question des rebelles tchadiens opérant depuis le sud de la Libye, souvent accusés d’utiliser le territoire libyen comme base arrière pour des attaques contre N’Djaména, demeure un point de friction. Bien que les opérations militaires de l’ANL dans le Fezzan, visant à déloger ces groupes, aient été menées en coordination avec les autorités tchadiennes, elles suscitent aussi des inquiétudes quant à leurs implications sur la stabilité régionale.

Un pari sur l’avenir : N’Djaména, acteur clé d’une région en mutation
En accueillant Saddam Haftar, le président Déby envoie un signal fort : le Tchad est prêt à jouer un rôle actif dans la stabilisation de la Libye et de la région. Cette visite, qualifiée de « fructueuse » par des sources officielles, pourrait poser les bases d’accords concrets sur la sécurité frontalière, le commerce et la gestion des détenus. Alors que le Tchad s’affirme comme un acteur clé du Sahel, notamment après la rupture des accords militaires avec la France en novembre 2024, cette coopération avec la Libye pourrait redéfinir les équilibres géopolitiques dans la région.

À l’heure où la paix et la prospérité restent des objectifs fragiles dans le Sahel et en Afrique du Nord, cette rencontre au palais Toumaï incarne un espoir prudent. Cependant, la véritable mesure de cette poignée de main historique viendra avec les actes : des décisions concrètes capables de surmonter les défis enracinés et les rivalités persistantes qui pèsent sur les relations entre le Tchad et la Libye. Le test commencera lorsque les discours laisseront place aux actions, et les intentions à des résultats concrets sur le terrain.
